You're under arrest (Mission #3)

Il y eut un tourbillon de lumière puis trois formes humaines apparurent. L’un était grand, ses longs cheveux noirs étaient décoiffés et sur son visage s’exprimait une combativité encore brûlante. Il tenait l’autre du bout de sa baguette, qui flottait un mètre au dessus du sol, les bras le long du corps, une expression bestiale sur la face. La troisième était une femme, plus petite et menue que les deux autres, elle avait dans les yeux une immense tristesse, mais semblait faire un effort pour retrouver une attitude professionnelle. Ils venaient d’atterrire au milieu de l’Atrium, sous les regards éberlués des bureaucrates qui firent tous une pause sur leurs chemins.
Mais Seth ne les regardait pas, son regard allait plus loin. Cette fois il avait Joanne pour témoin, sœur de Jean qui plus est, personne ne pourrait remettre son rapport en doute. En accèdant à un poste de Magenmagot, le Comte s’était enveloppé d’une aura d’invulnérabilité au sein même du Ministère. Il avait donc pu agir à sa guise, pendant un temps, trop de temps peut-être. Joanne à coté de lui semblait troublée, elle avait du stopper elle-même son frère, lui sauvant la vie. Si seulement elle ne l’avait pas distrait, il avait mal entendu ce qu’elle avait dit, il avait cru un instant… mais le temps qu’il comprenne qu’elle n’avait pas pu dire ça, son adversaire en avait profité. Sans ça… non, aussi rapide que soient les réflexes d’un SangDragon, à l’époque où il était encore qu’un simple Auror, il aurait pu le battre. La paperasse et les bureaux l’avait rouillé, mais lorsque le poste lui fut présenté, il ne pouvait pas le refuser. Trop de choses étaient en jeu.

Godric Ditinver arriva affolé, suivit de près par les deux gardes de l’entrée. La bouche entrouverte, les yeux qui regardaient tour à tour Seth et Jean, en passant par Joanne.
- Seth, qu’est-ce que… commença-t-il à demander, troublé.
- Je viens d’arrêter le Comte Jean-Osten Delacroix, pour attaque répétée à mon encontre, monsieur. Je rajouterai qu’il est fort probable que le Comte ai aussi assassiné Thicknesse Pius, et qu’il est détenteur d’un gène, le rendant aussi dangereux qu’un lycanthrope ou qu’un vampire à tout moment de la journée. Il baissa sa baguette, et le corps flottant de son prisonnier descendit doucement. De sa main libre, il retira les lunettes de Jean, pour laisser apparaître ses deux yeux rubis, qui firent pousser un cri de stupeur à l’assistance. Je m’en vais donc le mettre sous verroux, en attendant de rencontrer le Magenmagot pour rendre un jugement.
- Tout ceci est très surprenant Seth… je…
- J’insiste monsieur, dit-il le ton professionnel et le regard ardant. En ma qualité de Directeur des Aurors, j’ai le pouvoir exceptionnel d’incarcérer quiconque selon ma volonté pour une durée de vingt-quatre heure, en cas d’extrême urgence. J’ai avec moi le témoignage du Commander Joanne Delacroix, qui pourra témoigner en mon sens. Puis-je compter sur vous pour faire le nécessaire auprès du Magenmagot ?

Le vieil homme semblait embêté, mais ne trouva pas à protester. Cela allait faire le titre de tout les journaux. Devant son silence, Seth éleva sa baguette, et par répercussion le corps de Jean, et avança vers la grande fontaine, suivi par Joanne, qui ne pipait mot.
- J’ai foi en vous Seth, et je vous crois assez réfléchi pour comprendre toute l’ampleur de votre acte. Si Jean Delacroix est un traître, je dois tout de suite le signifier au Ministre.
Seth hocha de la tête, la mine sérieuse, et Godric disparut derrière les portes coulissantes d’un ascenseur. Il appuya sur le bouton d’appel, et jeta un regard à Joanne. Il voulut lui parler, mais le tintement signifiant qu’ils pouvaient rentrer l’en empêcha. Des sentiments antagonistes devaient s’affronter en elles, et il jugea qu’il ne devait pas s’en mêler tant qu’elle ne l’y priait pas.

L’ascenseur s’arrêta, et il s’ouvrit sur un gigantesque couloir, fais de pierres froides et grises. Le son de leurs pas se répercuta comme un écho, et le grincement que fit la porte d’acier qu’ouvrit Seth avait tout de sinistre. Si Azkaban avait été l’endroit le plus sûr pour garder les Mangemorts, c’était aujourd’hui dans les geôles du ministère que l’on pouvait être sûr de les garder sous la main.
Il posa le corps inerte de Jean sur un banc constitué d’une planches humide, attachée par deux chaînes d’acier, solidement accrochées au mur. Il referma derrière lui, et d’un geste souple de la baguette, désensorcela le prisonnier, qui restait endormi.
À travers les barreaux de la prison, Joanne le regardait, avec un indicible regard. Seth passa un bras autour de sa taille, et regarda le corps allongé de Jean. Il restèrent un instant là, puis Seth embrassa le sommet de son crâne, avant de la conduire vers la sortie.
- Restaurant ? proposa-t-il.
Elle hocha silencieusement de la tête.

Un énorme vide semblait m’avoir prise et je ne pouvais que suivre comme un mouton bien sage le flot qui m’entraînait toujours de plus en plus profondément sur le chemin de la dépression.
Sur le chemin je restai silencieuse et si j’avais pu l’être dans mon état, j’aurai été reconnaissante à Seth de ne pas l’avoir interrompu. Je m’étais retirée dans un monde où ne régnait que le silence et je ne faisais que me répéter les images, comme de vieilles diapositives usées, de ma vie durant ces six derniers mois.

D’abord le retour de mon frère et son accueil frigide. Puis le décès de Mère et le subit retour de Père avant de disparaître à nouveau avec Jean. La double tentative de meurtre de Seth par ce même homme que j’appelais mon frère. Et enfin, mon geste, impardonnable, à l’encontre de mon propre sang. Constat : un gâchis total.
Que me resterait-il encore à subir avant de voir la lumière au bout du tunnel ? Que me restait-il à perdre dans ce monde pourri et marqué par des années de guerre qui me paraissaient maintenant futiles ?
Le Seigneur des Ténèbres voulait le pouvoir ? Qu’il le prenne ! Tant pis pour les Nés Moldus, même ça n’avait aucune importance. Le monde pouvait s’écrouler cela ne me ferait plus ni chaud ni froid.
Honnêtement, je pense que la seule chose qui m’empêcha de me suicider à ce moment là, c’était lui. Seth. A un moment où j’avais du choisir entre lui et Jean, je l’avais choisi lui. Ce choix me liait désormais à lui et je le voyais comme le dernier espoir qui me permettrait un retour à la lumière.

Nous arrivâmes dans un restaurant, chic comme d’habitude avec Seth, et nous attablâmes. Je le laissai commander pour nous, le regard vide et à peine consciente des yeux curieux du serveur qui se posaient sue moi à intervalle régulier. Allais-je si mal que mon désarroi était gravé sur mon visage ?
Je mangeai une sorte de met insipide, toute saveur ayant quitté ma bouche, bu beaucoup trop de vin et, du peu que je me souviens du reste de la soirée, m’endormit dans le restaurant, un verre à la main, avant de me réveiller bien plus tard dans le lit de Seth.
Une forte migraine me battait les tympans comme si un bébé mandragore avait subitement poussé à l’intérieur de mon crâne et poussait ses horribles cris sans que je puisse seulement me protéger avec des bouchons d’oreille.
Le rayon de lumière qui perçait par la fenêtre au rideau mal tiré me força néanmoins à me lever et j’enfilai une chemise de Seth que je trouvais pliée sur une chaise et m’arrivant à mi-cuisse.

D’un pas traînant, je me dirigeai vers la cuisine fraîchement réparée où je trouvais Seth, un exemplaire de la Gazette à la main. Il plia soigneusement le journal et le posa derrière lui. J’aurai pu y mettre ma main à couper mais j’étais sûre de trouver en première page une énorme photo de Jean, probablement la plus sinistre qu’ils avaient plus trouvé – qui soit dit en passant n’était certainement pas bien difficile à dénicher puisqu’il semblait littéralement faire la gueule sur chacune d’entre elles. Et cela aurait certainement été sous titré par un énorme titre en caractère d’imprimerie du genre : « Le Cannibale du Ministère » ou « Le Comte Vampire ».
Je m’assis lourdement sur la chaise en face de Seth. Je n’avais toujours pas faim mais je me forçai à mâcher un morceau de pain brioché pour éviter d’avoir à parler.
Lorsque j’eu fini, je cherchai désespérément un moyen de me taire mais je sentais le regard de mon homme peser inexorablement sur moi. Il fallait dire quelque chose, n’importe quoi.
J’allai lui sortir une ânerie quand mon portable se mit à sonner. Je me levai d’un bond et couru comme si ma vie en dépendait. Je mis un moment à retrouver mon téléphone et d’un doigt tremblant j’appuyai sur le bouton.

- Allô ?

Sa voix était empressée et un peu tendue mais une certaine urgence dans celle-ci me dégela légèrement comme si je retrouvai une infime partie de ma personnalité.
J’éteignis mon portable et me précipitai à nouveau dans la cuisine, mes affaires sous le bras.

- C’était Kyle. Il dit qu’il y a un mort aux entrepôts nord près de la Tamise.

Peut-être que cette nouvelle affaire me changerait enfin les idées, du moins je l’espérais. Je me trompais.

(C'est moi qui sort avec lui le plus souvent. :p )

Londres. Il y fait froid mais pas assez pour lui. Elevé dans le froid rude des montagnes le vent effleure à peine sa peau à nue. Il a le sang chaud, ses nerfs sont à vifs. Il le sent. Il sent que la chasse va bientôt commencer. Il ne lui reste plus qu’à trouver les proies.

Derrière lui ses Frères sont tout aussi nerveux. Eux aussi savent que la fête va commencer.
Son portable se met soudainement à sonner. D’un geste fébrile il place le petit appareil sur son oreille. Une voix froide et neutre parle alors.
- Elle arrive. Je vais m’arranger pour qu’il ne reste aucun témoin.
- Compris.

Remiel se mit à rire. L’excitation montait en lui. Il savait que le fils allait mourir bientôt pour haute trahison. Il regrettait de ne pas pouvoir le tuer lui-même mais tant pis. Lui il aurait la première fille. Il ne resterait que la seconde et l’horizon serait débarrassé des trois points d’ombres qui lui obscurcissaient la vue.
Après, il se débarrasserait de Nathaniel. Celui-là était trop dangereux pour être laissé en vie. Il expliquerait à Samaël et Azraël qu’il était mort sur le champ d’honneur. Ainsi serait accomplie sa volonté et il serait le Père des nouveaux Frères de Sang. Une lignée portant son nom : Remiel D. Shaitan.
Il se tourna vers ses deux Frères présents. Raguel n’était pas là. En tant que Bélial il n’aurait pas accepté de tuer sa propre cousine. Il l’avait déjà mordu quelques mois plus tôt et en reconnaissant le sang qui coulait dans ses veines il avait paniqué et s’était enfui. Il avait mis un mois à s’en remettre, craignant le courroux de Vaan. Mais celui-ci n’était jamais venu. Vaan était mort. Ou presque.
- Allons-y. La chasse est ouverte.

Dépliant leurs jambes les trois monstres sautèrent du haut de l’immeuble sur lequel ils s’étaient perchés, atterrissant cinquante mètres plus bas comme s’ils venaient d’enjamber un ruisseau.
Ils se mirent à courir vers les entrepôts désaffectés au bord de la Tamise. Ils pouvaient déjà sentir l’odeur du sang et Raguel sentit un frisson très familier lui remonter dans le dos, l’excitant encore plus.
Ils ne mirent pas plus de cinq minutes pour arriver sur place. Ils grimpèrent sur le dôme prévu et regardèrent par les ouvertures encastrées sur les tôles hémisphériques.

Nathaniel se tenait au milieu de l’espace vide. Il avait sa baguette dans la main.
Remiel frissonna. Il détestait ces instruments. C’était la principale raison pour laquelle le prochain à éliminer serait ce petit rat bouffi d’insolence et d’ambition.
Ils observèrent un moment en silence l’homme. Ils pouvaient le tuer maintenant après tout ? La fille allait arriver de toute façon. Il ne leur était plus très utile.
Mais au moment où il allait donner l’ordre à ses deux Frères d’en finir avec Nathaniel, deux odeurs distinctes flottèrent jusqu’à ses narines. L’une était reconnaissable entre toute : celle d’un SangDragon sans contexte. L’autre lui rappelait vaguement les effluves de quelqu’un mais il ne sut pas vraiment mettre un nom dessus. Peu importait.

Il tendit ses muscles, près à bondir au moindre mouvement. Son cœur battait à un rythme fou et ses membres tremblaient. Pas de peur, non. D’excitation. Il était si proche du but. Si proche. A nouveau un frisson caractéristique lui remonta le long du dos. Il comprit alors que c’était le moment. Il était temps pour eux de sortir de l’ombre.
C’était l’heure de se mettre à table !

Ils partirent tout deux quelques minutes après l’appel de Nathaniel Kyle, dans la voiture de Seth, qu’il conduisait avec virtuosité. Joanne semblait trouver un second souffle dans le travail, et son regard avait retrouvé de leur vigueur. Du fait qu’il était préoccupé par l’état psychique de sa compagne, il ne tiqua pas sur le fait que l’Auror faisait directement appel à eux, respectivement Directeur et Commander, pour une affaire de routine comme pouvait l’être un meurtre en temps de guerre. Toute ses pensées étaient ailleurs, dirigées vers Jean, vers Joanne, vers l’avenir qu’il lui semblait entrevoir. Tout en tenant le volant d’une main, il décrocha son téléphone et composa le numéro de Flint, l’invitant à le retrouver au lieu dit.
Il tourna à un croisement et longea la Tamise, avant d’arriver devant le hangar numéro 47. De l’extérieur, le vieil entrepôt était gris et sale, comme laissé à l’abandon depuis de nombreuses années. Il y avait assez de place pour y rentrer un dragon adulte, et une très faible lumière arrivait à traverser le dôme hémisphérique qu formait la tôle sale et jaunâtre, donnant au lieu un climat inquiétant. Un homme se tenait là, en plein centre, sa baguette fermement tenue, une mèche de cheveux empêchait la maigre lumière venu du ciel d’illuminer son visage.

Seth sortit de la voiture, et observa Nathaniel qui se tenait prostré là, au centre de l’entrepôt. D’ici, il ne voyait aucune trace de cadavre, ni des habituels agents de la Brigade de Tireur de Baguette Magique. Quelque chose clochait, mais conscient qu’il avait poussé sa paranoïa à son paroxysme depuis que Jean l’avait attaqué, il chassa cette idée. Joanne sortit elle aussi, habillé de son uniforme de Commander, une nouvelle aura l’entourait désormais.
Ils entrèrent dans le gigantesque entrepôt, qui, plongé dans l’obscurité, donnait à la scène une saveur de vieux films de gangsters moldus. Le silence était seulement perturbé par le bruit que causaient leurs talons et le ciment en entrant en contact, bruit répercuté par la grande salle vide, comme un écho, et Nathaniel ne bougeait pas. Lorsqu’il furent à moins de cinq mètres de lui, Seth balaya du regard l’entrepôt ; il y avait bien une multitude de caisse de bois, depuis longtemps abandonnées, une grande poulie qui devait servir à élever les camions, et en hauteur une balustrade longeait le mur, pour donner vers une salle qui devait faire jonction avec l’hangar numéro 46.
Une voiture arriva en trombe devant la grande porte coulissante, et un jeune homme coiffé d’une chapeau en sortit, ses yeux verts fouillant l’obscurité de l’entrepôt.

Nathaniel sortit enfin de sa torpeur, et releva légèrement la tête.
- Bonjour, je suis content que vous soyez venus. Occupons nous du cadavre que je vous ai signalé maintenant.
Quelque chose clochait. Seth avait eu suffisamment d’occasion dans sa vie pour se rendre compte que son instinct le trompait rarement. Il ne fit aucun geste vers sa baguette, mais resta à distance de l’Auror. Flint marchait maintenant dans leur direction.
- Bonjour Nathaniel. Et où est-il ce corps ? demanda-t-il les sens aux abois.
- Il est juste là où vous êtes, monsieur.
Seth souleva un sourcil, mais ne décrocha pas son regard de celui de l’Auror. Précaution qui lui sauva la vie, car il eut le temps de voir ce dernier décrire un geste de sa main armée, et faire jaillir dans sa direction un éclair vert émeraude, qu’il esquiva promptement, et que Flint vit passer à deux centimètres de son visage. Sa baguette dégainée, il fronça les sourcils et cria ;
- Qu’est-ce qu’il vous prend ?! s’exclama-t-il, les dents serrées.
- Nous ne travaillons pas pour les mêmes personnes, monsieur Street, répondit l’autre, brandissant sa baguette comme une épée et envoyant à nouveau ce même mortel sortilège.
Mais une lumière bleutée entourait Seth, et elle le traîna un mètres plus à droite, le laissant s’écraser contre un tas de caisse.
- Tu es comme Jean ! Je ne te laisserai pas lui faire du mal.
- Laisse, dit-il, l’halo lumineux le quittant déjà, c’est mon travail de nettoyer la pourriture que je laisse gangrener.
- Kh ! Seth, toujours aussi pathétique. J'ai des amis qui vont s'occuper de Joanne en attendant qu'on en ait fini.

À peine eut-il finit sa phrase, qu’un bruit de craquement s’échappa du ciel, comme annonciateur d’une sinistre sentence. Trois silhouettes atterrirent, et malgré la chute vertigineuse de plus d’une vingtaine de mètres, elles se relevèrent sans peine.

Ils avaient des yeux rouges, c’était des SangDragons.

Nathaniel envoya une nouveau sortilège, qui obligea Seth à s’envoler une dizaine de mètres plus loin, dans une partie excentré du hangar.
- Je m’occupe de lui, tuez ces deux là, dit-il avant de se précipiter vers l’endroit où Seth avait atterri.
Seth se releva. Il était bien négligeant, surtout que Nathaniel ne devait pas être du même niveau que Jean Delacroix, Auror vétéran bénéficiant des réflexes surhumains des SangDragons. Non, ce n’était que Nathaniel Kyle, simple Auror. Il se releva et passa une mèche de ses cheveux d’ébène derrière son oreille, Kyle trottinait dans sa direction, et dans son regard l’on pouvait lire la farouche détermination qui précède le meurtre.
Non, pas cette fois. Il ne perdrait plus, il avait toujours été le plus fort, le plus talentueux. Pourquoi devrait-il perdre en duel ? Cela n’avait pas de sens.
Kyle lui envoya un sortilège, mais il le dévia sans y penser, portant enfin une attaque : un fin lasso de couleur nacre se détendit en l’air, pour fouetter le visage de Kyle. Se dernier vola et heurta le mur, avant de se relever, le souffle court. Sa joue gauche avait la chair à vif, comme brûlée par du métal en fusion. Il envoya un nouveau Avada Kedavra, mais déjà la couleur bleutée illuminait Seth, et le déplaça quelques mètres plus loin, hors de tout danger. Il fit un mouvement circulaire de sa baguette, et le tas de caisse vide sur lequel il avait atterrit un peu plus tôt, vola dans la direction de Nathaniel. Ce dernier transplanna derrière Seth, mais à peine eut-il posé ses pieds sur le ciment, qu’un disque rouge rubis volait à grande vitesse, dont les bords tranchant semblait avoir pour vocation de le soulager de sa tête. Il courba son échine, laissant le dangereux frisbee transpercer la porte de métal, se soumettant directement à la baguette de Seth.
Son corps fut aplati au sol, comme poussé par une force invisible, et sa baguette vola et s’incrusta dans la poche de l’imperméable du Directeur des Aurors. C’était cela le vrai Seth Street, implacable et omnipotent, d’une rapidité et d’une force à toute épreuve. L’aura de toute-puissance qu’il dégageait semblait le rendre invincible, comme empreint d’une fureur nouvelle, ou revenue. En deux sortilèges, il Stupéfixia et immobilisa Kyle à l’aide d’une corde argentée, puis se tourna vers Joanne et Flint. Il n’avait pas le temps de s’apitoyer sur cet autre ennemi.

Ils étaient clairement dominés. Les trois prédateurs leurs tournant autour. Qu’est-ce que ces trois là fichaient là ? Et où était le quatrième ? Il n’aimait pas les SangDragons, et encore moins s’ils défiguraient à vie sa bien-aimée. Il était à quinze bons mètres, et le temps était compté. Il fallait qu’il les sauve, que la situation était compliqué !
Un tourbillon magique fit son apparition mais il n’y prêta pas attention, car c’était trop tard ; les trois monstres se jetaient déjà sur les deux proies. Deux d’entre eux furent rejetés par les sortilèges respectifs de Joanne et Flint, mais rien ne semblait pouvoir arrêter le vol du borgne, et il était trop loin pour l’en empêcher.
Un éclair orange vint frapper le SangDragon restant, alors qu’il se trouvait juste au dessus de Joanne. Le temps sembla alors changer de valeur, juste pour lui, car sa chute fut bien plus lente, comme s’il restait en suspension en l’air, laissant largement le temps à Joanne de s’éloigner. Seth tout en courant regarda d’où venait le maléfice salvateur ; à l’endroit où était apparut le tourbillon magique quelques instants auparavant, se tenait maintenant un Vénitiens, dont les cheveux violets-bleutés lui rappelait vaguement quelque chose. Une suite de Pop sonore résonnèrent dans le grand hangar, et de nouvelles silhouettes se détachèrent des ténèbres.

Sariel, coupé dans sa course, fut propulsé au loin mais il réussit à retomber sur ses pieds, amortissant le gros de la vitesse.
D’un mouvement rageur il tourna la tête vers l’endroit d’où était parti le rayon. Là où quelques secondes plus tôt il n’y avait rien, se dressaient plusieurs silhouettes. Il les reconnut aussitôt grâce aux masques que ceux-ci portaient : les Vénitiens.
Le Frère de Sang sentit son sang bouillir dans ses veines. L’excitation montait en lui car il savait que plus on était de fou plus on faisait mal. Et la douleur, il raffolait d’en infliger aux autres.
Parmi les nouvelles proies, il y avait plusieurs femmes. Trois plus la fille du Père. S’il y avait une chose qu’il aimait plus qu’infliger de la douleur aux êtres humains, c’étaient d’infliger de la douleur à ces satanés petites sorcières en les trouant avec leurs stupides baguettes magique.
Remiel continuait de tourner autour de la fille et Uriel se contentait de regarder, hébété, les nouveaux arrivants. Sariel interpella son Frère :
- Gros tas ! Occupe-toi de ces ploucs. Tu as droit à un buffet à volonté.
Régissant immédiatement à l’appel de son ventre, et accessoirement aux ordres de Sariel, la Montagne se rua vers son ennemi le plus proche. C’était un Vénitien au masque blanc et aux cheveux plus ou moins violet. Il ne devait pas particulièrement être bon à manger mais cette couleur singulière lui rappelait vaguement quelque chose.
Bah, il aurait le temps de s’appesantir sur le sujet plus tard. En attendant, il avait très envie de croquer l’une de ces charmantes demoiselles.
Parmi elles, son choix se porta d’abord sur la plus singulière. Une avec des cheveux rose bonbon comme les cochons. Il imaginait déjà son visage terrifié lorsqu’il lui arracherait son masque avant de s’attaquer à son nez, à ses yeux et à ses lèvres.
D’un bond, il récupéra toute la distance qu’il avait perdue en prenant le sort de plein fouet. En un autre, il fut quasiment à portée de ses crocs mais un sort l’obligea à se reculer vivement. Il prit appui sur un mur puis bondit sur des caisses au-dessus de la jeune femme.
- J’adore quand les femmes me résistent. Mais après elles hurlent tous comme des porcs qu’on égorge. Kkkk !
Découvrant ses crocs, il se mit à sourire et lui décocha un clin d’œil. Il sauta enfin dans sa direction, mains en avant, prêt à l’accueillir dans ses bras mortuaires.



Uriel fit craquer ses gros doigts en approchant du bonhomme aux cheveux caca. La bave lui coulait sur le menton et son estomac criait famine.
Pourtant il se contentait de rester à une distance respectueuse du bonhomme. Il savait parfaitement que celui-ci avait un bâton qui faisait des feux d’artifice et qu’avant de pouvoir le manger, il devrait d’abord le lui prendre.
Il s’avança d’un pas mais un éclair rouge sortit du petit bâton et il dû se baisser pour l’éviter.
- T’es qu’un gros méchant. Laisse-moi te manger, s’teu plait. Il posa ses grosses mains sur ses hanches et bomba son torse musculeux. Sinon je vais le dire.
Une telle menace ne pouvait être ignorée.



Remiel regardait Joanne et uniquement Joanne. Il savait qu’il pouvait aisément éviter les sorts de l’autre sorcier mais il ne pouvait absolument pas prévoir les mouvements de la fille de Vaan.
Elle n’était plus une simple SangDragon, héritière de la lignée de Vlad D. Tepes, mais bel et bien un Frère – ou plus adéquatement une Sœur – de Sang.
C’était par leur faute si la jeune femme s’était réveillée et que son potentiel, même faible, s’était développé. Même si elle ne pourrait jamais le dépasser en force ou en vitesse elle restait la plus dangereuse des deux car en plus des talents issus du patrimoine génétique de son père elle possédait des dons de sorcellerie de la mère.
Il ne savait pas trop quoi faire à propos du troisième sorcier, celui que Nathaniel voulait manger pour s’élever au statut de Frère de Sang, mais il préféra dans un premier temps s’abstenir de le provoquer. S’il venait à l’attaquer dans le dos, se serait tant pis pour lui. Remiel le soulagerait du poids de sa tête sans éprouver la moindre once de regret.

Sawyer resta médusé lorsqu’il fut « menacé ». Il se demandait si le colosse faisait de l’humour ou s’il était tout simplement complètement imbécile. À la manière dont l’autre le traitait, il opta pour la seconde solution : c’était le crétin de la bande, massif mais bête. Sawyer jugeait cependant que son idiotie n’altérait en rien sa dangerosité, car ses bras lui semblaient puissants et il était plus rapide que sa corpulence ne le laissait penser. Il lui fallait s’attaquer à ce qui rendait ce monstre fragile.
- Hin, hin, t’as tout faux mon gros. Moi je représente la justice. Il se montra du doigt en ricanant grossièrement. Moi, je suis un gentil. Par contre, toi tu es un méchant ! conclut-il en retournant son doigt vers son vis-à-vis.
- C'est moi qui l'ai dit en premier, sale copieur. J'aime pas les copieurs, je les bouffe.
Sawyer se dit qu’il avait tiré le gros lot en affrontant cet abrutit, dont l’âge mental devait se situer entre quatre et six ans. Il se gratta le haut du crâne, simulant l’embêtement et acquiesça.
- Oui, oui, moi aussi, quand quelqu’un m’embête, je lui mange un bout du bras, et c’est bien fait pour lui ! Et en parlant de ça, où est ton copain le blond ? demanda-t-il sur le ton d’une simple conversation.
- J'sais pas. Il avait pas envie de manger je crois, ça veut dire que tu es ma part maintenant.
Sawyer aurait bien aimé retrouver le blond. La marque de ses dents était encore bien profonde sur son bras droit, et elle commençait à peine à s’estomper avec le temps. Il haussa les épaules, comme pour se dire à lui même que ce n’était que partie remise, et continua ses pitreries.
- Me manger, moi ? Tu sais qui je suis ?
- Non, t’es qui ?
Sawyer sourit un peu plus derrière son masque. Sa réponse avait un sens tout particulier venant de sa personne. Et puis, plagier son autre personnalité, ce n’était pas vraiment du plagiat, non ?
Il échauffa sa gorge de manière à répondre de sa voix la plus grave et rauque possible.
- Je suis les Ténèbres !
- Non, c'est P'pa les Ténèbres !
Le sorcier masqué regarda le grand gaillard sans trop bien comprendre. Là seule chose qu’il comprenait, c’est que ces quatre là, si on incluait le blond, n’étaient pas unique dans leur genre, et qu’il avait au moins un… père.
- Mais gros tas, je suis ton père, répondit Sawyer sérieusement.
- P'pa c'est pas une fille qui se maquille les yeux ! T'es un gros mytho.
Ainsi il l’avait reconnu. Mais y en repensant, Sawyer avait toujours su que son masque ne cachait que peu son identité, et que la couleur seule de ses cheveux suffisait à qui le connaissait auparavant pour le percer à jour. Il se dit que Seth Street et Joanne Delacroix avaient déjà dû le reconnaître, et même peut-être le jeune Auror.
- En voilà des façons de causer à son père, je vais t’inculquer deux trois bonnes manières moi, tu vas voir ! dit-il en riant.
Sans attendre, le géant se jeta sur lui, ses deux grosses mains en avant. Son visage avait perdu de sa niaiserie pour prendre des traits plus sauvages. Sawyer eut tout juste le temps de faire un bond en arrière, avant que la masse atterrisse sur la surface d’acier.
Il y avait quelque chose d’impressionnant dans cet amas musculaire, dont la respiration bestiale et les yeux pourpres vous criaient une soif aiguë de sang et chair. Sawyer le savait, il n’était plus au regard du SangDragon qu’une proie. Le dénommé Uriel bondit contre le mur, avant de se jeter à nouveau vers lui. Sawyer jugea qu’il n’était plus temps de fuir, et renvoya le monstre contre le mur. Immédiatement, son adversaire se remit sur ses deux pattes, et c’est avec le souffle haletant qu’il marchait sur le coté, face à Sawyer, cherchant une faille.
- Plutôt rapide le gros, le railla-t-il.
- Je suis pas gr…
Pour Sawyer c’était clair, la faiblesse de ce monstre ne n’était pas sur un plan physique, c’était clair, mais plus sur un point psychologique. Il lui fallait donc varier les deux types d’offensives, s’il voulait en venir à bout rapidement. Le SangDragon avait tout juste eut le temps d’esquiver son maléfice, qui avait troué le mur de ciment derrière lui, que le sorcier enchaîna.
La masse se trouva vite dans une situation critique, occupée à éviter de justesse une succession d’attaque, acculé contre un mur percé de toutes parts, et sous le rire hystérique d’un Sawyer hilare.
- C’est la fin pour toi mon gros !
Sawyer s’apprêtait à jeter son ultime maléfice, lorsque le colosse fit un bon d’une dizaine de mètres vers l’estrade opposée du hangar, et après s’y être posé, lui tira la langue. Le sorcier se mit à rire de plus belle, avant de lancer un éclair rougeâtre dans sa direction et de tourner sur lui-même. Il eut l’étrange sensation d’être compressé dans une boîte de chocogrenouille, avant d’en ressortir face à son adversaire.
- Ne me quitte pas déjà, tu sais bien que l’on a pas encore fini de jouer toi et moi, hin-hin !
L’éclats des yeux d’Uriel s’illumina, et il se jeta à nouveau sur Sawyer.
- Je vais te maanger !
- Même pas peur ! répondit Sawyer qui riait en brandissant sa baguette magique.

L’agilité de ces hommes était extraordinaire. Peut-être même n’étaient-ils pas humains. Ce qui était sûr en tout cas, c’est qu’ils présentaient une grave menace et que l’un deux avait l’intention de la grignoter. Elle l’avait compris instantanément lorsqu’elle l’avait entendu donner son ordre à l’homme massif posté à ses côtés. Ses bonds extraordinaires vinrent rapidement diminuer la distance les séparant, elle lui lança un sort qui l’éloigna brièvement mais vite remit, il revint à la charge.

Alors qu’elle n’y avait pas fait attention au départ, un détail dans sa physionomie la choqua. Quand il s’élança vers elle, ses yeux rouges sang la ramenèrent plusieurs mois en arrière, un matin difficile d’hiver lorsqu’elle s’était retrouvé nez à nez avec un Jean peu frais et au naturel. Il avait les mêmes yeux. Ce n’était pas possible, ils ne pouvaient êtres les mêmes monstres assoiffés de chair et de sang ! Décontenancée, elle ne pensa même pas à éviter cette masse vibrante de muscle qui s’abattit sur elle. La force de l’impact les fit rouler au sol.

Samaëlle savait qu’au corps à corps, elle était perdante. Par chance et surtout par pur reflexe, elle avait serré sa baguette lors de la chute. Ce serait sa seule et meilleure alliée. Elle murmura un sort de stupéfiction qu’il dériva de sa route d’une simple pichenette dans la main de la jeune femme. Il la dominait et le savait, en profitant largement. Ses pieds repliés sur les cuisses de Samaëlle l’empêchait de ruer, il tenait fermement ses poignets au sol. Il n’avait pas besoin de ses mains, ses dents seules suffiraient.

La jeune fille transpirait de peur, sa respiration, gênée par le masque, était saccadée et rapide. Elle ne voyait pas d’issue possible. C’est alors qu’intervint un élément incongru de la personnalité du monstre qui la dominait. Sûr de sa force, il voulait savourer sa victoire en se délectant de la peur visible sur le visage de Samaëlle, mais le masque le privait de ce plaisir. Il lâcha alors le bras gauche de sa victime, celle sans baguette, et posa ses doigts sur les deux côtés de l’ultime protection qui restait à la vénitienne.

- Touche pas à ça toi !

Et sans même se rendre compte de ce qu’elle faisait, Samaëlle gifla son futur tortionnaire. Ce dernier écarquilla les yeux, il avait à peine senti la douce caresse de cette créature. Qu’avait-elle essayé de faire ? Le frapper ? Il dut se retenir de rire, mais finalement n’y parvint pas, et, relâchant son attention, s’esclaffa. C’était maintenant ou jamais, Samaëlle bondit, réussissant par là même à se libérer du joug de ce monstre abominable. Elle lui lança sort sur sort, espérant qu’il les reçoive tous et aille cramer en enfer.

Elle était en colère de s’être faite avoir, et sa rage s’exprimait par un flot continu d’imprécations en tout genre. Elle se calma un peu, transplanna sur un amas de carton et continua avec plus de prudence à chasser la vermine de cet entrepôt. Ou était-il ? Sa position actuelle ne lui permettait pas d’identifier l’emplacement de son adversaire.

Hélène était arrivée juste après Sawyer, et ne pouvait qu’admirer sa vivacité d’esprit. Elle n’aurait jamais eu le réflexe de sauver l’Auror, mais lui l’avait fait si facilement qu’elle en eu presque honte. Tout ce qu’elle avait appris en matière de duel, c’était ce qu’elle avait étudié en Défense Contre les Forces du Mal durant son cursus scolaire à Poudlard. Bien sûr Gregory Isbanov lui avait appris deux trois trucs dans les bas fonds, et elle avait toujours eut des facilités en la matière, mais elle n’aimait pas se battre, pas comme Sawyer lui aimait se battre. Hélène le regarda batailler contre son adversaire, et chercha du regard le sien.
Sawyer menait la danse face au colosse, et en contrebas celui qui semblait être leur chef était entouré par trois Aurors, dont l’un d’eux était Seth Street. Lorsque Hélène réalisa que le Directeur des Aurors était présent, elle s’apaisa ; il était connu pour son extraordinaire efficacité lorsqu’il n’était que simple Auror, face à lui le monstre n’avait aucune chance.
Elle chercha donc Samaëlle, qui venait de se libérer de la prise de son adversaire, et de lui envoyer une rafale de sortilège. Le monstre sauta de coté et les évita de justesse, ils heurtèrent un sac de ciment et remplire l’air environnant d’une épaisse brume. Hélène le vit bondir au travers de la poussière sur la jeune femme, mais elle venait de disparaître vingt mètres plus loin. Samaëlle le cherchait du regard, mais il avait déjà bondit en l’air, les bras tendus. Affolée, Hélène déploya son bras armé en l’air, et d’un sortilège doublé d’un mouvement ample, l’envoya valser contre un mur, comme une marionnette tirée par ses propres fils. Elle transplanna auprès de la sorcière et lui demanda ;
- Vous voyez un problème à ce que prête main forte ?
- Rassurez-vous je crois qu'on ne sera pas trop de deux contre ces bêtes là, lui répondit-elle tout en gardant son regard fixé vers l’homme monstre.
Le rire cristallin de Sawyer fit écho dans la hangar, comme pour leur répondre, mais Hélène se força à ne pas le regarder.
La silhouette robuste de leur adversaire filait dans leur direction, et malgré les sortilèges qu’envoyaient les deux femmes, rien ne semblait pouvoir empêcher sa sinistre approche.
- J’ai bien peur que nous ayons à subir les railleries éternelle de Sawyer si nous n’arrivons pas à deux à faire ce qu’il fait seul, dit-elle amusée à Samaëlle.
- Je préférerais entendre l'extrême onction d'un prêtre plutôt que les railleries de votre bon homme.
Hélène eut pour toute réponse un petit rire sans joie, le fait qu’elle ait pu croire que Sawyer lui appartenait n’avait été que naïveté. Le monstre semblait hésiter à savoir comment les approcher. Elles étaient perchées sur un tas de carton, mais n’avait pas plus d’idée sur comment dénouer cette situation. Maugrey leur avait conseillé de tuer, pour une fois. Ces monstres étaient indomptables et dangereux, et ils ne tireraient jamais rien d’eux. Hélène n’avait jamais fait usage d’un sortilège impardonnable.
L’homme aux yeux rouges sauta haut, si haut qu’il toucha le plafond. Les deux femmes levèrent leurs baguettes respectives, jetant chacune un sort de leur convenance, mais il s’était déjà propulsé en prenant appuis sur la surface qu’il venait d’heurter, et fonçait sur elles à grandes vitesses. Il atterrit avec fracas au milieu des cartons, écartant d’une coup de poing Hélène, l’envoyant valser plusieurs mètres plus loin. Les sens brusqués par la douleur, Hélène vit Samaëlle tenter de jeter un sort au visage de l’homme, mais sa main subit la pression de sa mâchoire, la forçant à laisser tomber sa baguette dans un hurlement de douleur. Hélène agit une promptitude qu’elle ne se connaissait pas, et serrant plus fort sa baguette, lui jeta le même sortilège, l’entraînant contre le mur le plus proche et libérant Samaëlle de son joug. Elle entendit un nouveau cri, mais qui ne provenait pas de sa coéquipière
Le monde autour d’elle se mua en un monde de douleur et de noirceur, où sa conscience se perdit. Elle ferma les yeux et sombra dans un sommeil profond.

Dread Flint et moi fîmes un pas de côté au même instant laissant le monstre finir son bond contre le mur. Mais avec l’extraordinaire agilité que je leur connaissais, il n’eut aucun mal à prendre appui sur ce même mur afin de se propulser une nouvelle fois vers moi comme un boulet de canon.
Le monstre allait me percuter avant que je puisse réagir quand un sort de Flint le toucha. Il fit plusieurs tonneaux en l’air avant de retomber artistiquement sur ses jambes. Celui-ci n’avait rien avoir comparé aux autres, même pas avec Jean. Jean était agile certes mais je ne l’avais jamais vu faire des bonds de dix mètres de haut et encore moins à la vitesse ahurissante où les exécutait celui-ci. Même le monstre blond qui m’avait attaqué avec Sawyer quelques mois plus tôt n’était rien comparé à lui.
Repartant à la charge l’homme aux yeux rouges se rua vers moi, griffes et crocs en avant. Je lui jetai des sorts à la chaîne mais il semblait les éviter avec une aisance à en couper le souffle. Même lorsque Flint vint me prêter main forte avec ses propres maléfices le monstre continua à progresser. Nous n’eûmes pas d’autres choix que de nous reculer, battant en retraite.
Je cherchai alors Seth des yeux. Celui-ci avait été attaqué par Kyle Nathaniel devenu fou. Je le repérai presque aussitôt qui courrait dans notre direction. Jetant un nouveau sort mortel par-dessus mon épaule et je me précipitai vers lui. J’avais le souffle court et mon cœur battait à tout rompre. Livrer ce combat était d’autant plus difficile qu’il me rappelait douloureusement celui que Seth avait mené contre Jean.
C’était à n’y rien comprendre. Je savais que les Frères de Sang, ces êtres aux yeux rouges, faisaient partis d’une dangereuse secte amatrice de sang mais je ne parvenais pas à saisir en quoi moi ou Seth pouvait les intéresser autant. J’étais moi-même une des Frères de Sang. Or depuis quand s’attaquaient-ils entre eux ? Jean n’avait jamais tenté de me tuer jusqu’à présent, il m’avait juste écartée comme un déchet indigne de se trouver sur son chemin. Alors pourquoi ceux-là m’en voulaient-ils tellement ?
Alors que Jean et Kyle étaient obnubilés par Seth ces trois monstres ne lui prêtaient aucune attention. Je n’y voyais pas de logique dans leurs manœuvres de nous attaquer lui et moi séparément. La seule explication plus ou moins rationnelle que je pus trouver dans le feu de l’action était que les Frères de Sang ne se constituaient pas d’un mais de deux ou plusieurs groupes distincts. Pourtant, Jean n’avait jamais évoqué le fait que notre chère « famille de sang » ait subi un schisme par le passé. L’ignorait-il lui aussi jusque là ?
J’étais presque arrivée au niveau de Seth quand je sentis soudain une main s’abattre sur mon épaule et la tirer en arrière. Je poussai un cri d’horreur quand les doigts griffus du monstre entamèrent ma chair. Je me retournai, baguette au poing, prête à lui jeter un sort mais d’un coup de dent il m’arracha mon instrument des mains. Puis il l’envoya d’un geste hors de portée. Alors que ses mâchoires revenaient à la charge un sort me frôla l’oreille de si près que je sentis la décharge roussir mon cuir chevelu.
- Non ! Cria une voix derrière moi. Ils sont trop proches, Flint. Vous risquez de la toucher.
Seth avait raison. Le monstre me tenait tout contre lui et m’empêchait de bouger. Je ne pouvais que repousser sa tête de mes bras pendant que ses ongles s’enfonçaient dans mon dos et me lacéraient la peau. Si jamais Seth ou Flint tentaient de lancer un sort, ils avaient autant de chance à me toucher moi et ce malgré l’habileté légendaire reconnue au chef des aurors.
Quelque chose en métal me pressa le ventre. Le monstre pressa l’objet contre moi et je sentis la chose s’enfoncer en moi. Je compris, mais trop tard, que je venais d’être poignardée. Ma vue se brouilla et je sentis l’amer goût du sang me monter dans la gorge. Ne pouvant m’empêcher de pousser un long cri de douleur le sang se déversa sur mon menton et éclaboussa le visage du monstre ce qui sembla l’exciter.
Alors que les dents effilées se rapprochaient dangereusement de mon cou, une ombre passa devant mes yeux et un instant plus tard l’emprise de mon adversaire s’affaiblie et me libéra en me projetant en arrière. Je faillis tomber au sol mais des bras musclés me rattrapèrent avant que j’heurte le béton dur et froid.
Seth m’aida à me redresser mais j’avais terriblement mal et je me vidai de mon sang par la profonde blessure que le monstre venait de m’infliger. Je plaquai une main dessus pour endiguer le flot de sang qui s’en déversait.
Devant nous, le monstre se tenait le nez, ruisselant de sang. Je compris alors. Seth ne pouvant pas utiliser la magie avait utilisé de la chose la plus rudimentaire qui soit : le poing. Cette manière de faire c’était révélée rudement efficace pour une fois. Seth venait de démontrer l’importance même de prendre soin de son corps et de manger cinq fruits et légumes par jour.
Le monstre ne bougeait plus, sauf pour éviter les quelques sorts que Flint lui envoyait futilement. Il se torcha le nez d’un coup de manche et nous dévisagea d’un œil mauvais. La lueur rouge de son regard ne faisait que renforcer l’impression de colère qui bouillait en lui.
- Pourquoi ? demanda-t-il. On veut juste la fille. Donnez-la nous et on partira.
Seth ne répondit pas, du moins je ne l’entendis pas répondre. A mesure que mon sang coulait je sentais de moins en mois mes jambes et le sorcier me portait plus qu’il me supportait. Dans un vague moment de lucidité j'entendis Seth dire à Flint :
- Retenez-le un moment. Il faut faire sortir l'auror Delacroix d’ici.
Je sentis qu’on me forçait à marcher. Tout était confus. Je crus voir à un moment le visage de Seth penché sur le mien, les sourcils froncés tandis que ses lèvres bougeaient sans émettre le moindre son. Il y eut un instant où je ne me souviens de rien puis il y eut ce bruit de porte qui s’ouvre et qui se ferme, la sensation du vent qui caressait mon visage et cette froideur qui me gelait les os. Une terrible froideur.

Uriel se prit le sort en pleine figure, il eut la sensation de se faire piquer par des moustiques. Il regarda avec colère le bonhomme aux cheveux caca. Depuis tout à l’heure il n’arrêtait pas de l’embêter et ne restait jamais tranquille de façon à ce qu’il puisse le manger.
Tout ça c’était à cause du bout de bois qu’il avait dans la main. S’il s’en emparait il pourrait faire ce qu’il voulait. Il suffisait juste de le lui prendre des mains.
Une fois de plus il se dirigea vers son apéritif, évitant du mieux qu’il pouvait les éclairs que celui-ci lui balançait. Il fit un bond de côté, un trou fumant à l’endroit où il était une seconde plutôt.
- C’est chaud. Quand je t’attraperai, je te ferai griller. Miam, miam !
Il courut alors sur la droite de son repas, puis changea subitement de direction. Il répéta la manœuvre plusieurs fois de manière aléatoire de façon à ce que le repas ne puisse pas prévoir ses mouvements. Il savait une chose : semer le doute et la confusion dans la tête d’une proie était le meilleur moyen de finir par le mettre dans une casserole.
De cette manière, tous les sorts que lui enverrait le repas avaient autant de chance de le toucher que d’arriver à toucher une mouche à cent mètres. Le repas suivait du bras les mouvements d’Uriel, cherchant à déterminer quel serait son prochain déplacement.
Pour compliquer les choses le Frère de Sang se mit à moduler sa vitesse : freinant brusquement ou accélérant de manière subite. Il s’avançait insidieusement, centimètre par centimètre de son repas, reculant parfois mais toujours en grignotant quelques pas lorsqu’il avançait de nouveau.
Le repas lâcha un sort. Il alla s’écraser sur le mur d’en face, ratant sa cible de deux bon mètres. Uriel en profita pour s’avancer à nouveau. Il ne lui restait plus qu’une dizaine de mètres de séparation. Lorsqu’il arriverait à cinq, il sauterait. Le repas n’aurait jamais le temps de réagir. A ce moment là il serait trop tard.



Sariel venait d’éliminer la première des deux femelles. Elle s’était cognée et semblait inconsciente. L’autre avait été mordue à la main et n’avait plus sa baguette. La prochaine fois il s’assurerait de lui emporter quelques doigts. Ce petit jeu d’esquive commençait à l’énerver et il n’en éprouvait qu’une envie plus grande de prendre son temps lorsqu’il démembrerait la jeune femme masquée.
Le sang de la jeune femme qu’il avait encore dans la bouche l’excitait encore plus. Il sentait monter en lui la frustration de ne pas sentir les os de sa nuque craquer sous ses doigts. Ses mains se mirent à trembler convulsivement et un horrible rictus lui tiraillait la lèvre supérieure. Plus il attendait plus elle souffrirait, il le savait mais l’envie était tellement forte.
Il vit la jeune femme se précipiter vers sa baguette en courant. Il ramassa un morceau de bois cassé d’une des caisses sur lesquelles les deux femelle c’étaient perchées plus tôt dans le futile espoir de lui échapper. Il lança son arme improvisée avec force lorsqu’elle se pencha pour ramasser sa baguette. Le bout de bois, tel un javelot, traversa l’air et percuta de plein fouet la femelle à la tempe.
Déséquilibrée elle tomba au sol à côté de sa baguette. D’un bond il fut sur elle à nouveau. Il posa sa botte sur la baguette de la sorcière, l’autre sur les doigts de sa main encore intacte. Elle poussa gémissement et le Frère de Sang sentit un lent frisson lui parcourir le corps, partant du bas de son dos pour aller se perdre dans la racine de ses cheveux.
- Salut beauté ! Fit-il en s’asseyant sur son ventre. Voyons voir ce qui se cache là-dessous.
De là il pouvait déjà percevoir sa peur, oh pur moment d’extase. Assurément il prenait son pied comme il l’avait rarement fait ces derniers temps. Savourant l’instant, il enveloppa de sa main le masque vénitien de sa prisonnière et commença à tirer.
Apparemment le masque était magiquement fixé car il dut tirer de toutes ses forces pour parvenir à l’extraire. Les muscles bandés, il retira enfin le masque. La vision qui s’offrit à lui ne fit qu’accentuer son état, il était euphorique. Il avait gagné le gros lot.
C’était une honte de cacher ce ravissant petit minois derrière l’une de ces horribles choses. Il jeta d’un geste négligeant le masque qui se brisa en deux en percutant le sol.
Plus rien autour de lui n’avait d’importance. Il se contentait de scruter le visage terrifié de la sorcière. Elle essaya de le repousser avec sa main blessée mais il eut tôt fait de s’en saisir. Le sang ruisselait de sa blessure, souillant la manche d’une grosse tâche rougeâtre.
- Il parait que le bonheur n’existe que lorsqu’il est partagé. Je vais partager mon bonheur avec toi, ma chérie.
Il porta la main près de sa bouche. Il renifla l’odeur, la délicieuse odeur du sang. Son estomac criait famine. Pourquoi faire durer plus longtemps. Elle était soumise à sa merci. Alors lentement, très lentement, de façon à ce que la jeune femme le sente bien il commença à lui lécher la main, essuyant avec force la peau tachée. Puis, tout aussi lentement il remonta le bras, s’appliquant à aspirer tout le sang qui coulait de sa blessure. Il la sentit frissonner de dégoût et il frissonna en retour.
Il arriva à la manche. D’un coup de dent il l’arracha et la fit remonter le long du bras avant de la jeter au sol.
- On va passer du bon temps tous les deux.
- Va crever en enfer sale chien, étouffe toi avec ma chair ! lui cracha-t-elle au visage.
Il se mit à rire. Malgré la situation, elle trouvait encore le moyen de l’insulter. Alors que la plupart des autres victimes se contentaient de gémir, de hurler, de supplier, de pleurer, elle, elle continuait à se battre malgré sa peur.
Son rire finit, il la dévora du regard. Ses yeux ne cillèrent pas.
- T’as pas peur de mes yeux ? C’est leur vraie couleur.
Elle déglutit péniblement tandis qu’il se remettait à lui lécher le sang. Puis il se mit à remonter le bras jusqu’au cou, lentement, lentement il allait vers sa bouche.

Mademoiselle Joanne venait d’être violemment poignardée, et je regardais avec dégoût le sang de son abdomen qui ruisselait entre ses doigts. Dire qu’elle était une femme pleine d’expérience, un exemple d’efficacité et de professionnalisme. Si même elle n’en était pas venu à bout, seul monsieur Street avait une chance. Pourquoi donc ne m’avait-il pas laissé l’amener à Ste-Mangouste ? Je suspectais depuis un petit moment qu’ils aient une liaison, en particulier depuis la disparition du Directeur et la réaction de Mlle Joanne. Cela expliquerait qu’il veuille s’assurer qu’elle soit saine et sauve, mais…
J’esquivai de peu mon adversaire, qui atterrit, plusieurs mètres derrière moi. Je n’avais jamais ôter la vie à qui que ce soit. Aurai-je à le faire ? En aurai-je seulement l’occasion, face à ce monstre de force et de vitesse ? J’en doutais, et plus je le regardais se mouvoir, plus mon doute se muait en certitude. Il n’y avait rien à faire, seul monsieur Street avait une puissance suffisante pour envoyer des sortilèges à une vitesse suffisante. Il esquivait avec une certaine grâce chacune de mes attaques, enchaînant roulades aériennes et petits sauts périlleux dignes d’un gymnaste moldu.
La sueur coulait de mon front et collait mes cheveux. Le souffle court, je gardais mon regard fixé sur celui du monstre. Il était parfaitement décontracté, et semblait jouer avec moi. Je tentais de le stupéfixer, mais en vain, il était déjà sur moi. Que pouvais-je faire face à lui ? À deux nous n’avions pu que reculer, seul je n’avais aucune chance. Monsieur Street devait à tout prix m’envoyer des renforts, une aide quelconque. Mais l’état du Commander était trop préoccupant pour tenter de transplanner, le risque d’aggraver la blessure jusqu’à la mort était trop grand.
Pourquoi ces hommes aux yeux rouges et à la force surhumaine s’en prenaient-ils autant aux hommes du ministère ? D’abord le monstre Jean Delacroix, puis eux. Voldemort éparpillait pour la première fois ses forces au point de les envoyer dans la gueule du loup. Sauf que pour le cas présent, sans l’intervention salvatrice des Vénitiens, nous aurions déjà été vaincus. Je n’arrivais pas à définir exactement leur alignement, et il passait dans mon esprit d’un camp à l’autre fréquemment, selon les nouvelles de la Gazette. De quel bord pouvaient-ils être ? Peut-être d’aucun.
Nous combattions depuis à peine quelques secondes, que mon adversaire n’avait déjà qu’une seule chose en tête : sortir lui aussi du hangar pour aller finir sa besogne. Ses yeux fixaient la porte entrouverte.
- Vous n’irez pas plus loin, dis-je d’une voix mal assurée.
Son regard se reporta sur moi, et le coin de ses lèvres se retroussèrent en un sourire goguenard. Pour lui, je n’étais rien. Rien d’autre qu’un déchet sur son sinistre chemin. D’un coup de pied il balaya mon chapeau qui était tombé au sol, et je tentais d’en profiter pour le foudroyer. Il courba son échine en arrière, et c’est le sourire encore présent qu’il l’évita sans peine. Il se mit alors à marcher sur moi. Je redoublai d’effort et envoyai sur lui toutes un panel de sortilèges, mais il effectua des mouvements efficaces qui le firent esquiver chacun d’entre eux. Et je le regardais impuissant, s’avancer vers moi. J’entendis à l’étage le bruit lourd d’un corps qui heurte le sol, et un rire tonitruant qui fit écho dans le hangar, mais ma vue restait figée, regardant ces deux points rouges.
Cédant à la panique, j’hurlais chacun de mes sortilèges en tentant de l’atteindre. J’étais acculé, et tourner sur moi-même pour transplanner serait lui laisser l’occasion de me sauter dessus et d’en finir avec moi. Je repensais alors aux hommes à la gloire passée ou future, que j’avais admiré ou craint au cour de ma vie ; Godric Gryffondor, Albus Dumbledore, Gellert Grindelwald, Lord Voldemort, Seth Street… qu’étais-je face à ces grands sorciers ? Il n’était plus qu’à un mètre de moi, et dans un claquement de talons il disparut un instant de ma vision pour apparaître, tel un fantôme, juste devant mon nez. Je tentai de braquer ma baguette vers lui, mais il m’attrapa les deux poignets, d’une force qui n’avait rien d’humaine. Soumis, je ne pouvais que tenter de me débattre, redoutant l’instant fatidique.
Sa poigne autour de mes mains se fit encore plus forte, et d’un coup sec, il me brisa les deux poignets. J’hurlai un cri que je ne me reconnaissais pas. Une intense douleur partait des deux fractures pour répandre dans tout mon corps, des pieds à la tête. Je tombai à genoux, sanglotant comme un enfant, et tentai en vain d’attraper ma baguette : mes doigts ne me répondaient plus, et mes mains faisaient avec mes bras un angle étrange.
Qu’étais-je face à lui ? Que pouvais-je donc faire ?
Comme pour me répondre il me murmura à l’oreille :
- Rien.
Mais peut-être me qualifiait-il.

Le colosse bondissait de plus en plus vite, en prenant soin de ralentir la cadence aux moments les plus opportuns. Aussi vif que soit Sawyer, si le gros lourdaud décidait de tout faire pour ne pas être touché, à cette distance ses chances de l’abattre n’étaient qu’aléatoire. Il le ciblait du bout de sa baguette, envoyant quelque fois un sortilège mineur histoire de faire bonne figure.
Il utilisait une stratégie que Sawyer aurait pu qualifier d’intelligente. Diversifier à ce point ses déplacements empêchait le sorcier de pouvoir réellement le toucher. Il pouvait privilégier les sortilèges de faibles intensités, augmentant ainsi sa cadence d’attaque, mais un Expelliarmus n’aurait qu’un éphémère effet face à ce monstre, dont la menace principale résidait dans ses crocs. Inexorablement, le dénommé Uriel se rapprochait, et Sawyer eut un rire gêné et jura joyeusement. Il refusait de perdre face à ce gros bœuf écervelé.
La solution vint alors à lui comme l’explosion d’une Bombabouse : il ne servait à rien d’augmenter la quantité de ses sortilèges, il fallait au contraire en privilégier sa qualité. Les duels de sorciers avaient une règle absolue ; le premier qui subit un maléfice peut être considéré comme vaincu. L’adage ne marchait pas face à Uriel, mais le parallèle pouvait y être fait. Si Uriel subissait ce sortilège, il serait vaincu, indubitablement.
Sawyer le savait, il lui fallait désormais faire preuve de patience. Attendre, encore et encore, que le gros débile ait fini de sautiller sur place pour venir l’affronter de face. Tout se jouerait au timing, à la vitesse, au réflexe.
Mais il lui avait démontré à quel point il pouvait être rapide et véloce. Campant sur ses positions, Sawyer le suivit du regard, et cherchait le moindre indice, la moindre petite information qui lui permettrait d’anticiper l’attaque.
Son adversaire continuait de bondir, mais sans s’approcher, c’était une question de seconde avant qu’il ne bondisse, ses gros bras musclés en avant, afin de lui arracher sa baguette et le cœur.
L’horrible image d’Uriel qui lui mangeait l’intérieur du corps avait eu à peine le temps de germer dans l’esprit de Sawyer, que son principal protagoniste s’était jeté sur lui.
- Leviscorpus ! cria le plus rapidement possible Sawyer, et dont la baguette cracha sur le monstre un éclair incolore.
Instantanément le monstre eut sa cheville droite qui s’envola, comme attrapé par un piège à lapin pour éléphant, et flottait désormais en l’air dans une position que Sawyer trouva hilarante. Le gros bonhomme tentait en vain de décrocher sa cheville de ces filins invisibles, et frappait l’atmosphère pour repousser Sawyer.
- Te voilà bien gros lard ! le railla-t-il, se délectant vraisemblablement du sort de son adversaire. J’ai une bonne nouvelle pour toi.
Le gros tas cessa momentanément de remuer pour le regarder.
- T'as décidé de me laisser te bouffer ?
- Non. Sawyer s’approcha de lui, un sourire mauvais dissimulé derrière son masque. Il dirigea sa baguette vers le torse musculeux du SangDragon et susurra ; Tu n’auras plus jamais faim.
Une intense lumière verte jaillit entre les deux adversaires, avant que le lourd corps inerte du vaincu chute lourdement sur l’estrade de fer. Sur le visage d’Uriel l’on pouvait lire un mélange de surprise et de joie.
Sawyer resta quelques secondes à observer le regard éteint de son feu-adversaire, avant d’entendre hurler à l’autre bout du hangar. Il tourna la tête pour voir le jeune Auror tomber à genoux, apparemment mal en point. Il tourna sur lui-même et transplanna auprès du jeune homme, dont l’opposant avait déjà continué sa course vers l’extérieur.
Il sanglotait silencieusement, tandis que Sawyer se penchait pour observer l’angle sinistre qu’avait pris ses poignets. Il eut un petit rire et expliqua ;
- Mes capacités sont plus portées sur les dommages que sur les soins, j’en ai bien peur. Je pourrais tenter de vous remettre en état, mais je risque de les rafistoler à l’envers, hin-hin. Il pointa sa baguette vers celle de Flint, et elle vola jusqu’à dans la paume de sa main libre. Il la glissa entre les doigts tremblant du jeune Auror. Tenez, transplannez jusqu’à Ste-Mangouste dès que vous en aurez le courage. Il l’observa railleur derrière son masque de plâtre, puis tendit son bras vers son chapeau tombé par terre, et le posa sur sa tête. Je m’occupe du reste.
Flint cessait de pleurer, mais gardait la tête basse. D’une petite voix il adjura ;
- Tuez le, s’il vous plait. Il est… malfaisant. Au dernier mot il releva ses yeux verts émeraudes, avec dans le regard un mélange de peur et de haine.
Sawyer eut un petit ricanement.
- Si j’en ai l’occasion. Puis il tourna la tête vers Samaëlle qui affrontait un autre SangDragon, et Hélène qui gisait inanimé contre un mur. Vous avez l’air de tenir la situation en main mes très chères, je m’occupe du troisième ! Il se mit à éclater de rire et courut vers la sortie du hangar.
Seth Street et le troisième monstre se jetaient des regards sans mots dire. Joanne Delacroix avait le teint blanc comme la neige, et semblait au bord du gouffre.
- Votre subordonné est sur le chemin de Ste-Mangouste, mister the Director, et si vous permettez je vais vous aider à en finir avec celui là, histoire que notre Comtesse adorée puisse elle aussi y trouver son salut, hin-hin.
À peine avait-il dit ces mots, que le monstre se jeta sur lui. Sa vitesse était toute autre, rien à voir avec Uriel. Il cambra son dos et eut juste le temps de ne pas se faire ramasser.
Il allait devoir tout donner et vite s’il voulait que celle qui fut sa préfète préférée ne finisse pas par tourner de l’œil.

Samaëlle sentit son corps tomber lourdement, comme si le temps s’était soudainement arrêté. Le bout de bois avais fait perler une goutte de sang sur le côté droit de sa tête, elle voyait trouble, au loin le plafond du hangar semblait se déhancher dans une danse folle. Une fois de plus, la jeune fille était à terre. Elle avait été si près du but, si près d’atteindre sa baguette! Tout alors aurait pu être sauvé.

Comme elle s’y attendait, l’horrible bête qu’était son adversaire vint à elle et lui ruina ses maigres chances de s’en sortir, marchant à la fois sur son arme et sur sa main valide. Une boule se forma dans son ventre, la peur d’y passer se faisait de plus en plus forte. Comme en réponse à cette sensation désagréable, lui, le tortionnaire, frissonna, elle le sentit et semblait y prendre beaucoup de plaisir. Cette idée donna le tournis à Samaëlle, comment un être peut-il répondre de façon si antithétique aux émotions d’autrui ?

Il lui ôta son masque, elle eut l’impression que l’on se servait d’une ventouse à usage ménager contre son visage, ses paupières, ses joues et ses lèvres étant aspirés vers l’avant. Elle voulut hurler mais ne put que déglutir, il lui semblait que sa dernière défense venait de tomber, elle regarda tristement son masque se briser. Désespérée, elle tenta de le frapper avec sa main douloureuse mais il l’arrêta avec une facilité déconcertante.

Elle sentit sa langue avant de la voir, rugueuse et sauvage, elle astiquait sa main, son bras. La jeune femme jeta sa tête en arrière, révulsée par ce qu’elle subissait, elle avait envie de vider tripes et boyaux. Elle frissonna de dégoût, ne pouvant se départir de la sensation ignoble qu’il jouait avec elle, qu’il la dégustait petit à petit, la poussant dans ses derniers retranchements pour en tirer un profit maximum.

- Vous avez l’air de tenir la situation en main mes très chères, je m’occupe du troisième !

La voix de Sawyer comme sortie de nul part, fit l’effet d’un courant électrique sur la soumise équipière n°6. Elle allait mourir et cet idiot s’en allait, la laissant là ? Une sourde colère s’empara d’elle, elle cracha une réponse haineuse à l’encontre du monstre assit sur elle et qui se moquait. Elle tenta d’apercevoir son collègue se dirigeant vers la sortie, en vain. Peut-être la croyait-il capable de se débrouiller seule ? Il aurait alors eut une grande estime des capacités de Samaëlle qui ne voyait pas d’issue possible.

Son ennemi se déplaça légèrement sur elle, réajustant sa prise. Un objet dur s’enfonça dans la peau de la jeune femme. Le briquet ! En un flash rapide elle se rappela ce qu’il signifiait, une onde de chaleur traversa son torse, comme la flamme réchauffe le voyageur transi. Elle ne pouvait se permettre d’avoir souffert autant pour tout abandonner ici. Elle recouvra l’entière capacité de ses sens pour analyser la situation.

Elle était seule, Hélène était évanouie quelque part et avait besoin de soins. Elle n’entendait plus de bruit aux alentours, tous les combats semblaient finis ou excentrés. Elle ne devait compter que sur elle-même. L’homme à l’unique œil rouge la fixait avec un drôle de regard, elle le soutint, ne voulant plus montrer de signes de faiblesses.

- T’as pas peur de mes yeux ? C’est leur vraie couleur.

Samaëlle avala de travers, des images de Jean se superposaient à celles de celui qui l’écrasait de tout son poids. Elle ferma les yeux, une expression de trouble sur le visage. Ce n’était pas le moment de penser à ça, elle éclaircirait le mystère de son équipier lorsqu’elle serait saine et sauve. Elle n’avait pas envie de croire qu’ils étaient pareils, que Jean n’était qu’une bête sanguinaire et assoiffée de sève humaine.

Samaëlle retint sa respiration lorsqu’il la lécha dans le cou ; comment osait-il ? Une envie de cogner, de faire mal la fit grincer des dents. La pression du briquet sur sa cuisse, qui s’était atténuée, revint la picoter, elle expira l’air de ses poumons et se composa une expression de visage calme. Il se rapprochait inexorablement de sa bouche, elle le laissa faire sans broncher.

Il était arrivé à ses lèvres, sa langue dansa sur elles un temps avant de pénétrer dans sa bouche. Samaëlle surmonta sa nausée et embrassa avec ferveur l’être la dominant. Puis, sans prévenir, violemment, elle donna un grand coup de dents dans l’organe du monstre.
Ce dernier ne se retira pas tout de suite, sous le choc, Samaëlle recommença alors, sectionnant complètement la langue du borgne. Un goût de fer envahit sa bouche, le sang coula dans sa gorge, elle toussa avant de s’étouffer, cracha le bout de chair rose et sans vie avant de vomir sur le sol à côté d’elle, relevée sur un coude.

Pendant ce temps l’homme s’était relevé, complètement ahuri, il avait porté ses doigts à sa bouche, et n’y trouvant que le vide avait poussé un drôle de hurlement, mêlant surprise, colère et douleur. Il la regarda du coin de l’œil et s’enfuit en courant, cherchant un endroit pour se soigner.

Samaëlle s’essuya la bouche et s’allongea par terre, haletante, réalisant à peine ce qu’elle venait de faire, comment elle venait de s’en sortir. Elle était couverte de sang, ce bougre après l’avoir nettoyé l’avait sacrément arrosé de son hémoglobine. Elle calma sa respiration, ferma les yeux quelques minutes, les rouvrit et se mit debout. Elle avisa Hélène, toujours affalée dans son coin. Elle ramassa sa baguette avant de se rendre au chevet de sa nouvelle coéquipière, lui tapotant doucement la joue. Elle n’avait plus la force de lui jeter un sort pour la revigorer.
Elle s'assit, dos au mur, pour accueillir la bien-aimée de Sawyer à son retour du pays des rêves. Une impression de vide lui serra le coeur.

Le Vénitien esquiva en se cambrant, le Frère de Sang passa juste au-dessus du sorcier. Sans s’inquiéter, Remiel continua son mouvement et le transforma en pirouette. Menton sur la poitrine, le dos rond, il fit une roulade et se retrouva debout. Au même instant, il sentit son adversaire pivoter.
Il ne se retourna pas, trop certain qu’un sort le frapperait avant qu’il ne puisse le faire, mais sauta sur le côté. Il n’avait pas tord, car un flash vert lumineux s’écrasa là où il se tenait un instant plus tôt.
Il prit appui sur un mur, jambes fléchies et se propulsa plus haut. Il s’accrocha d’une main au rebord d’une fenêtre et regarda sous lui.
La fille était maintenant allongée, l’homme qui la protégeait contre toute logique était penché sur elle. Parfait, il ne le dérangerait pas tant qu’il ne se serait pas débarrassé de cette pâle réplique du psychopathe au masque de hockey.
Il lâcha la rambarde et un autre sort siffla au-dessus de sa tête. Il atterrit sur le sol avec un bruit sourd. Il se redressa et toisa son adversaire. Il était plus rapide que le dernier sorcier qu’il avait estropié.
- Tes sorts ne marcheront pas, sorcier. Reste en dehors de ça et je consens à épargner ta vie de cloporte.
- Hin, hin, et te laisser manger ma Comtesse adorée ? Non, je vais plutôt t’envoyer rejoindre ton gros copain.
Uriel était mort ? Bah, à part un gros tas de muscles il ne perdait pas grand-chose. De plus, avec le temps il aurait été de plus en plus laborieux à gérer. En faisant cela, le sorcier lui avait presque rendu service.
- A ta guise.
Il se remit à se déplacer autour du sorcier, cherchant une faille. Il avait le temps. Si la fille n’avait pas de soins incessamment sous peu, elle mourrait. Il avait toute la nuit pour jouer au chat et à la souris. Le seul risque c’était que l’autre sorcier décide que le tuer était la meilleure solution et ne l’attaque dans le dos. Même si c’était peu probable, dans le cas contraire il le sentirait.
Le temps s’étira. Attendant son heure, il continuait à tourbillonner autour du sorcier. Celui-ci lançait des sorts de temps à autre quand le Frère s’approchait un peu trop. Le jeu commençait à devenir trop lent. Il avait envie d’en finir à présent. Pour cela, un changement de stratégie était nécessaire.
Seule la lumière d’un lampadaire éclairait la scène, la vision des sorciers étaient donc très limitée. D’un bond, il se propulsa sur la rambarde d’un balcon et, de là, après un saut en arrière, il arriva sur le toit du bâtiment opposé. Il se fondit dans le noir.
Il suffisait à présent d’attendre sans broncher. Il sentait l’odeur des trois sorciers à plusieurs dizaines de mètres sous lui exsuder de leurs pores et saturer l’air. Puis, en faisant le moins de bruits possibles, souple comme un chat en chasse il s’approcha du rebord du toit et observa le comportement du sorcier masqué.
N’en croyant pas sa veine, Remiel sauta presque immédiatement. En effet, le sorcier lui tournait le dos, offrant une cible facile au prédateur. Mais, à peine avait-il atterrit juste derrière le sorcier, que celui-ci se tourna et lui envoya un sort en pleine face. Le Frère de Sang eut à peine le temps de pencher la tête pour esquiver. Il sentit ses cheveux crépiter et une douleur fulgurante à l’oreille. Le Vénitien venait de lui cramer une partie de son visage !
La colère augmenta la vitesse déjà fulgurante de Remiel. Il n’était plus question de s’amuser ni de laisser le sorcier s’en sortir avec quelques hématomes et membres fracturés. Quiconque qui se risquait toucher son visage ou n’importe quelle autre partie de son corps encourrait la sentence maximale. La Mort.
Il ne laissa même pas le temps à son ennemi de comprendre ce qu’il lui arrivait. Il n’avait même plus envie de faire dans la dentelle, pas question de se prendre une autre des saloperies que le sorcier pourrait bien lui envoyer.
Il pivota sur lui-même de façon à se mettre sur le côté du Vénitien. Puis, il lui attrapa d’une main sa tignasse immonde et frappa de la paume de son autre main dans la cage thoracique de son ennemi. Le sorcier tomba silencieusement en arrière, sa tête frappant contre le mur derrière lui. Remiel se retrouva avec une pleine poignée de cheveux mauve dans la main.
Il avait mal calculé son coup. Le Frère de Sang avait eu l’intention de lui défoncer la cage thoracique pour lui compresser le cœur mais les cheveux avaient cédé sous la pression, sauvant par là même la vie du Vénitien. Pour le moment en tout cas.
- Game over, Jason.
Il allait abattre ses mains sur lui quand quelque chose de froid sur sa gorge le tira en arrière.



Raguel avait attendu le retour de Remiel et des autres en vain. Il n’aimait pas beaucoup le comportement récent de ce dernier. Remiel avait pris la fâcheuse habitude de le laisser de plus en plus souvent en retrait. Bon ok, il n’avait pas assuré quant à la capture de Susan Bones mais était-ce une raison de l’ignorer de la sorte ?
Sentant son humeur monter d’un cran il avait décidé de sortir dans la nuit froide pour se changer les idées. Dehors les derniers relents de l’odeur de ses Frères se faisaient encore sentir.
Il avait hésité un instant mais avait finalement décidé de les suivre. Si Remiel ne voulait pas qu’il les accompagne, il ne lui avait pas interdit de les suivre en cachette. Il était donc passé de toit en toit, s’arrêtant parfois lorsqu’il perdait la trace, puis reprenait sa traque lorsqu’il la retrouvait.
A mesure qu’il progressait, la piste s’était faite de plus en plus évidente. Ils n’étaient plus très éloignés, il en était certain. Il avait alors reniflé l’air et s’était alors figé. Il y avait les trois odeurs familières, celles de ses Frères, mais à celles-ci venait s’ajouter d’autres odeurs moins connues. Il y avait un ou plusieurs autres Frères de Sang dans les parages.
Il n’avait pas compris sur le moment. Comment cela était-il possible ? Il n’y avait aucune raison valable pour que Remiel lui cache une réunion avec d’autres Frères. Si Remiel n’avait pas emmené Uriel avec lui, il aurait compris. Ce gros lourd n’aurait fait que les gêner mais alors pourquoi son Frère l’avait-il emmené et pas lui ?
Sa mauvaise humeur avait augmenté de seconde en seconde. Il s’était hâté de se diriger vers le nœud où semblait se diriger les effluves.
Il n’était plus très éloigné de l’endroit quand il reconnut une des effluves qu’il avait senti auparavant. Non, impossible ! Que faisait-elle là ? Et elle n’était pas seule. Une autre odeur était avec elle, celle de la mort.
Il avait changé de direction vers ces deux odeurs, de plus en plus soucieux. Si elle se trouvait ici ça voulait dire que…
Il avait sauté du haut d’un immeuble et atterrit lourdement sur le sol en pliant les genoux. Il s’était redressé et avait dévisagé la femme qui se tenait à quelques pas de lui.
Ses longs cheveux blonds lui tombaient en cascade sur ses épaules. Elle portait une combinaison noire moulante dont une manche avait été raccourcie, faute de bras, ainsi qu’une ceinture à laquelle pendait un fourreau de cuir qui contenait une épée dont la garde était sertie de rubis.
- Qu’est-ce que tu fous là avec ce machin ? avait demandé Raguel en désignant l’épée.
Gabrielle la Messagère avait haussé les sourcils, surprise de le voir probablement, mais n’avait pas répondu. Elle s’était contenté de regarder derrière elle en faisait un signe de tête à Raguel.
Raguel avait regardé dans la direction indiquée mais n’avait rien vu. Seule l’effluve latente de la mort provenait de là-bas. Il y avait eu alors des crissements. Raguel avait froncé les sourcils, ne sachant trop comment réagir. Puis, sortant des ténèbres un homme en chaise roulante avait émergé de l’obscurité.
- Camouflez vos présences et vos odeurs maintenant que Raguel est là. Avait-il dit sans sembler surpris par la présence de Raguel, comme s’il avait toujours su que celui-ci viendrait le rejoindre.
Raguel avait cru pendant un instant que sa vision lui jouait des tours. D’abord Gabrielle et maintenant… Père ? Il comprenait de moins en moins. Pourquoi devait-il cacher leur présence ? Il ouvrit la bouche pour parler mais aucun son n’en sortit. Trop de questions se bousculaient dans sa tête.
- Ferme la bouche ou tu vas avaler des mouches. Faites ce que je vous dis maintenant !
Sans plus protester Raguel avait camouflé présence et odeur et s’était fondu dans le noir tel une ombre dans les ténèbres. Seules trois paires d’yeux luisant trahissaient leur présence.
Ils avaient alors avancé, dépassant plusieurs immeubles dont la vétusté n’était plus à faire. Raguel s’était posé de plus en plus de questions mais il n’obtiendrait pas tout de suite les réponses. Mais celle qui le taraudait le plus c’était pourquoi Père était cloué dans ce fauteuil et portait une grosse écharpe rouge sombre autour du cou. Il était parfois extravagant mais de mémoire, Raguel ne l’avait jamais vu utiliser l’un de ces deux accessoires auparavant.
Après une minute de marche silencieuse et rapide, il s’était rendu compte qu’ils se dirigeaient tous les trois vers deux nouvelles odeurs. Il en reconnut immédiatement une : celle de Remiel. L’autre était plus ténue, moins présente dans l’air mais tout aussi reconnaissable : un autre Frère de Sang.
L’odeur lui était vaguement familière et il avait cherché un moment de qui elle pouvait bien provenir. Ce n’était pas celle de Raphaël ni celle de Michel. Celle d’un des deux traîtres Azraël ou Samaël peut être ? Non, non, ce n’était pas ça.
Puis, comme un poignard enfoncé dans le cœur cela lui était revenu. La fille ! Il avait regardé avec inquiétude Père qui roulait en silence, aidé par Gabrielle qui poussait sa chaise devant elle. Remiel et la fille de Père ensemble ? Il était soudainement pris d’un mauvais pressentiment. D’un très mauvais pressentiment.
Enfin ils étaient arrivés dans la rue d’où émanaient les odeurs. Raguel avait alors découvert le corps d’un sorcier à terre, puis celui de Remiel penché sur lui. Enfin, affalée contre un mur, se tenait un autre homme et la fille de Père, la même qu’il avait autrefois mordu alors qu’il ignorait qui elle était. Il n’avait pas fait attention à l’époque. Cela l’avait empêché de dormir pendant deux semaines et les autres s’étaient bien foutus de sa gueule, le menaçant d’une sévère punition de la part de Père pour avoir fait ça sans son accord.
Comme la suite du cauchemar, il avait alors vu Remiel se diriger vers la fille. Son sang s’était glacé dans ses veines. Qu’avait-il l’intention de faire ?
- Va.
Une ombre était passée à côté de lui à une vitesse ahurissante. Un éclair flou et indistinct, comme le furtif passage d’une étoile filante dans le ciel.
Gabrielle attrapa les cheveux de Remiel et le tira violement en arrière. La Messagère plaça dans le même temps la vieille épée qu’elle portait sur la gorge de Remiel. Le métal récemment huilé brilla sous la lumière que projetait un lampadaire un peu plus loin.
Remiel se mit à rire. Un rire jovial, comme si la lame contre sa gorge ne lui faisait pas peur
- Tiens, tiens, tiens, mais qui voilà ? Ne serait-ce pas Gabrielle la Pute de Père qui veut terminer ce vieux combat interrompu voilà des années ?
Sous l’appellation de ce sobriquet, Gabrielle ne put s’empêcher de grimacer. Les yeux de Remiel s’agrandirent comme sous l’effet de la joie. Il prenait un malin plaisir à lui rappeler ce douloureux moment où il lui avait pris son bras. Il pencha la tête sur le côté.
- Tu es venue pour que je te prenne l’autre ?
- Je suis là pour ta tête.
Et d’un coup de lame, elle sépara la tête du corps. Raguel frissonna lorsqu’elle heurta le sol en éclaboussant copieusement le visage et les bras de Gabrielle.
A côté de lui, Père était inexpressif. Il ne parvenait pas à lire si c’était de la satisfaction ou de la peine qui se reflétait dans ses yeux, à moins qu’il ne soit réellement indifférent à ce qu’il venait de se passer.
- Sa seule erreur aura été de tuer Raphaël. Qu’attendait-il de moi une fois que je me serais aperçu qu’il ne rentrerait pas ? Vanité, orgueil, fierté, voilà ce qu’il l’a perdu.

Sawyer se releva prestement, portant à son flanc sa main gantée, dans un gémissement sourd. Son second duel de la journée venait d’être écourté par de nouveaux protagonistes. La tête de son ancien adversaire venait de rouler au sol, et il observait maintenant avec attention celle qui était à l’origine de sa décapitation. C’était une femme assez jolie, mais que l’absence d’un bras et les éclaboussures de sang rendait moins attirante. Il s’attarda un instant sur ses deux yeux rouges, puis porta son regard un peu plus loin sur les deux hommes qui l’accompagnaient. Il reconnu le premier comme l’homme qui lui avait mordu le bras deux mois plus tôt, mais n’avait jamais vu le second, assit sur un fauteuil roulant. Il reprenait doucement son souffle et continuait d’observer les trois SangDragons. Ceux-là ne semblaient pas se présenter comme des ennemis, plus une force neutre qui lui avait facilité un travail qui s’était annoncé laborieux. Il porta sa main au sommet de son crâne, où ses cheveux semblaient moins denses, puis s’avança d’un pas, en direction de l’homme aux cheveux blancs.
- Êtes-vous le… Père ? demanda-t-il en se remémorant les paroles d’Uriel.
- Pour vous, je suis les Ténèbres.
Sawyer stoppa sa marche en écarquillant les yeux. Il eut un gloussement aigu et fit un signe de dénégation de l’index.
- Tut, tut, tut, je suis les Ténèbres, répondit-il d’une voix à la fois profondément grave et goguenarde.
- Voilà un garçon bien insolent, dit-il en fouillant dans la poche de son manteau. Tiens voilà un bonbon, et arrête de dire des bêtises plus grosses que toi.
Sawyer poussa un cri infantile et observa la sucrerie à la faible lumière des lampadaires, avant de relever un peu son masque pour laisser transparaître sa bouche noire, et y glisser l’objet de corruption. Il rabaissa le masque et savoura la saveur sucré, observant du coin de l’œil celui qui se présentait comme le chef des SangDragons.
- Puis-je connaître le nom de mon bienfaiteur ? s’enquit-il en se penchant pour faire face au visage blanchâtre de l’homme.
- Mon nom est Bélial. Vaan D. Bélial. Mais mes amis m'appellent Maître.
Sawyer nota l’information dans un coin de son crâne, car cet homme et son histoire pouvait être la pierre de Rosette de toute l’histoire des SangDragons.
- Oserais-je abuser de votre bienveillance et vous demander le pourquoi de tout ceci, Vaan ?
- Pourquoi ? Il se mit à ricaner. Cet homme a abusé de ma confiance et m’a trahi. Il a tué un de mes sujets et a amené ses Frères avec lui dans sa déchéance. Il fit une courte pause puis désigna le corps de Joanne. Il a accessoirement tenté de tuer ma fille au moins deux fois.
Les yeux de Sawyer cessèrent de ciller derrière son masque. Une série d’équation faisaient irruption dans son esprit, qu’il résolvait méthodiquement les unes après les autres.
- Joanne est votre fille ? Joanne est une SangDragon ? demanda-t-il sans pouvoir cacher son envie pressante d’en apprendre plus.
- Le terme adéquat serait plutôt un ersatz de SangDragon. Aucun intérêt pour la lignée.
- Un ersatz, hein ? répondit Sawyer, railleur. Si votre inintéressante fille n’en faisait pas partie, je dirais que je n’apprécie pas vos gens, Vaan. Ils ont la fâcheuse habitude d’en vouloir à ma chair.
- Chacun a droit de faire son goûter à quatre heures. Je ne me soucie guère de ce que mangent mes disciples.
- M’en voudriez vous si je vous disais que j’ai mangé le plus gourmand ?
- C’est regrettable, mais à force de jouer avec la nourriture elle finit par se gâter et vous rendre malade.
- Il est vrai que je suis une belle pourriture, dit-il en riant doucement. Il recula de quelques pas, sortant du demi-cercle que formaient les trois SangDragons, et rangea sa baguette dans son fourreau. De la main il leur fit un petit signe. À la prochaine les copains.
- Dites bonjour à Maugrey de ma part.
Sawyer porta son index aux lèvres de son masque et souffla : « Chuuut. »
La manchote se plaça derrière le fauteuil de Vaan, et l’amena plus loin, jusqu’à disparaître de la vision de Sawyer, tandis que le blond prenait la direction opposé, sans mot dire.
Sawyer resta quelques instants seul à réfléchir, puis il se retourna vers Seth Street, qui semblait tenter de stopper l’écoulement de sang qui ruisselait de la profonde coupure que supportait Joanne.
- Ce dont elle a besoin c’est d’un puissant sortilège de cicatrisation, hors de votre portée et de la mienne.
Pour une raison inexplicable, le Directeur des Aurors eut un sourire sardonique. Il quitta le chevet de Joanne pour le regarder. Non, Seth Street n’était pas n’importe qui, Sawyer le savait.

L’état de Joanne empirait, il fallait qu’il agisse et vite. Il pensait cependant qu’elle tiendrait jusqu’au départ du Vénitien, à qui il avait tant de questions à poser. Il l’avait reconnu au premier coup d’œil, il fallait avouer que le masque ne cachait pas vraiment l’identité du sorcier pour qui l’avait déjà vu. Il était plus grand que lui, d’une dizaine de centimètres, et lorsqu’il s’avança le pas léger, il put sentir que l’autre ne le tenait pas dans son cœur.
- Vous pourriez enlever ce masque monsieur Sawyer, cela nous éviterait le ridicule, dit-il en souriant au journaliste.
Le sorcier le dévisagea quelques instants de ses deux yeux noirs et perçants, puis ricana gaiement. Il porta sa main gantée de cuir sur son second visage, et l’arracha dans un doux bruit, pour mettre à jour le joyeux et coloré faciès de Cuthbert Sawyer. Ce dernier le regardait avec amusement.
- Me voilà bien, ze-ha-ha ! Je lui avais que ce masque était inutile, mais il a tellement insisté que j’ai fini par céder, expliqua-t-il en faisant disparaître la pièce de plâtre d’un geste circulaire de sa baguette.
Seth le regardait faire en souriant, de ce même sourire qui couvrait ses lèvres depuis tant d’années. Il tenta de diriger son esprit vers son vis-à-vis, mais sans succès.
- Vous êtes plein de qualité monsieur Sawyer, doué au combat, occlument… je suppose que vous ne me direz pas qui est ce « il » qui tyrannise ainsi votre apparence ?
- Vous supposez bien monsieur le Directeur.
Seth resta là, à contempler cette homme qu’il considérait comme une énigme. Il avait fait faire des recherches sur lui, et y avait trouvé tellement de pistes différentes, une telles ramifications de mystères, qu’il avait acquis la certitude que cet homme n’était pas n’importe qui, malgré son apparence burlesque.
- Qui êtes vous vraiment, Vénitiens ? Quel vous plus particulièrement, quel est votre rôle là dedans ?
Oui, s’il y avait une question à poser, c’était bien celle là. Celle que tout Londres se posait depuis six mois, celle dont personne n’avait la réponse. Quelle était la nature et les ambitions de ces hommes que l’opinion public surnommait « Vénitiens ».
- Qui nous sommes ? interrogea-il en guise d’introduction, la mine enjouée. Nous sommes le substitut essentiel du Ministère. Nous sommes la troisième force qui fait ce que devrait faire le gouvernement. Quant à moi, je suis vous, mais en mieux, tout simplement.
Seth eut une mimique amusé.
- Je pourrais vous arrêter, et vous forcer à parler à l’aide du véritaserum, dit Seth le ton dépourvu de menaces.
- Vous avez mieux à faire, lui répondit le journaliste en désignant Joanne. N’importe quel transport magique pourrait lui être fatal, je ne comprends pas que vous ne l’ayez pas encore amené en voiture jusqu’à Ste-Mangouste.
- Je vais le faire de ce pas, nous n’avons plus rien à faire ici. Avez-vous vu Flint Dread, le jeune Auror qui nous accompagnait ?
- Comme il s’était fait briser les deux poignets, je lui ai donné sa baguette et il est sûrement parti à Ste-Mangouste. Je vais aussi vous quitter, j’ai deux équipières à récupérer et un rapport à lui faire. Occupez vous de la Comtesse pour moi.
Seth acquiesça doucement, et Sawyer tourna sur lui-même et disparut dans un bruit sonore.
Seth se tourna vers Joanne, qui gémissait langoureusement. Il écarta les mèches de cheveux qui recouvrait son front humide, et lui sourit avec douceur.
- Tout ira bien, expliqua-t-il.
Il ouvrit sa tunique d’Auror et releva sa chemise, pour laisser apparaître la plaie béante. Il posa le bout de sa baguette sur son abdomen, et longea la profonde blessure tout en chantonnant une longue formule. Au fur et à mesure que la baguette suivait le sanglant chemin que formait l’entaille, elle laissait derrière elle une nouvelle peau blanche en guise de cicatrice. Lorsque toute la coupure fut soignée, il nettoya le sang séché d’un nouveau coup de baguette, pour ne laisser sur son ventre qu’une fine traînée blanchâtre là où auparavant se trouvait une blessure quasi mortelle. Seth sourit de la même façon qu’il l’avait fait lorsque Cuthbert Sawyer lui avait dit que ce sort était hors de sa portée. Peu de choses l’étaient en réalité.
Joanne battit plusieurs fois des paupières, réalisant lentement ce qui venait de se passer. Elle se releva et regarda avec attention la plaie guérie, le souffle encore court, héberlué. Seth eut pour elle un sourire compatissant et rempli d’humilité, comme si le miracle, digne du plus grand des médicomages, qu’il venait d’accomplir n’avait rien d’exceptionnel.
Il passa une mèche de ses longs cheveux d’ébènes derrière son oreilles et pivota sur lui-même.
- Joanne… murmura-t-il.
- Oui ?
- Tu m’aimes ? lui demanda Seth alors qu’il lui tournait le dos et qu’il remontait sa manche.
- Je... Heu... Oui, bien sûr ! s’exclama-t-elle, encore éberluée par sa guérison mirculeuse.
Il se tourna vers elle, et lui tendis sa main gauche. Sur son bras se reflétait la marque des Ténèbres.
- Alors viens avec moi.
Son regard était dur et sombre, comme si l'éternel voile de bienveillance qui le recouvrait avait fini par s’envoler.

L’air s’était comme solidifiée tout autour de son corps, et lorsqu’il reprit contact avec le réel atmosphère, il sentit avec soulagement ses poumons se remplir d’un nouvel air. Il put du premier coup d’œil, trouver les deux jeunes femmes, qui assises côte à côte, semblaient comme l’attendre. Hélène avait la tête chue en avant, et un fin liséré de sang longeait son cou étroit, du haut de la nuque jusqu’au à la bordure de sa clavicule gauche. À ses cotés, le regard perdu et la figure sanglante, se trouvait Samaëlle. Sawyer marcha jusqu’à elle, la douleur lancinante de ses côtes brisés lui rappelant le court mais intense combat qu’il venait d’accomplir. La mine enjouée, il s’accroupit devant elles, les dents blanches apparentes et le regard qui passait de l’une à l’autre.
- On dirait que vous avez survécu, estima-t-il, en passant sa main sur son cuir chevelu où les cheveux eux-même se faisaient plus rares.
- Pas entièrement grâce à toi, petit clown, souffla Samaëlle apparemment extenuée par le combat passé.
- En partie, en partie, dit-il comme un écho, observant Hélène soumise à la narcose de la violence qu’avait causé le choc, les paupières fermées. Mais je ne peux pas toujours, arriver comme un prince et sauver les princesses. Le tien est mort ?
- Non, mon bon prince, il s'est juste sauvé, un bout de chair en moins. J'espère lui avoir laissé un bon souvenir de moi.
- Cela explique tout ce sang, dit-il en désignant le menton de Samaëlle. On dirait bien que pour cette fois, ta bouche a su viser juste. Il se gratta l’arrière du crâne et si mit ricaner d’un rire cristallin. Maugrey va me passer un savon quand je lui dirai que le Directeur des Aurors sait qui je suis.
- Hum ! Une bouderie malicieuse naquit sur le visage de Samaëlle et elle détourna la tête. Elle inspira un grand coup, réveillant ses récentes blessures ce qui eut pour principal effet de la faire grimacer. Les masques ne sont pas un abri sûr. J'ai aussi perdu le mien.
- Rien n’est plus dur à retrouver que l’anonyma. Street ne me lâchera plus maintenant qu’il me tient. Il haussa les épaules d’un air nonchalant, et agita sa main pour signifier que ça n’avait pas d’importance. Tu t’es entraînée avec le briquet ou est-ce que les fantômes t’effraient toujours autant ? demanda-t-il, goguenard.
- C’est un homme influent, tu n’es pas tombé sur le bon numéro. Enfin, il faut dire que tu es facilement reconnaissable ! Elle sourit, mais son sourire s’effaça à l’entente de sa question. Elle se frotta le haut de la nuque, apparemment gênée. L'un n'empêche pas l'autre. Mais j'essaye de faire face, je crois même avoir fais quelques progrès depuis la dernière fois.
- Me cacher par sécurité ce n’est pas vraiment mon truc, ça devait arriver. Je verrai bien ce qu’il fera. Accoudé sur ses genoux, il fit venir jusqu’à lui d’un coup de baguette magique une planche de bois qui traînait non loin. Je vais vous ramener chez Maugrey par Portoloin. Il pointa dessus la baguette et murmura ; Portus.
Instantanément le morceau de bois sec s’éleva à quelques centimètres du sol et s’entoura d’un halo bleuté, avant de retomber doucement, et de reprendre apparence naturelle. Sawyer pris les mains des deux jeunes femmes et les joignit sur l’objet. Au bout de quelques secondes, il put se sentir plongé dans un grand tourbillon, et arraché du hangar par son nombril.
Lorsqu’il rouvrit les yeux, il rencontra celui factice de Maugrey, qui semblait étrangement soucieux.

Sariel avait déjà la langue qui cicatrisait. De tous, il était celui avec la récupération la plus rapide. Cela ne lui empêchait cependant pas d’avoir un mal de chien.
Après s’être honteusement enfui, il s’était effondré dans une sombre ruelle et se contorsionnait les mains plaquées sur la bouche pour tenter de stopper le flot de sang qui s’en écoulait.
Parfois sa rage surpassait sa douleur et il se mettait à frapper du poing les poubelles pleines de saletés pour les envoyer à l’autre bout de la rue à grand renfort de bruit de casserole.
Humilié, voilà ce qu’il était. Se faire battre par un humain, une femelle qui plus est, était quelque chose d’insupportable pour lui. Il aurait mille fois préféré se crever l’autre œil. Jamais plus il n’aurait le courage de se regarder en face dans un miroir.
Pour lui, c’était comme si un ver de terre s’était battu avec un humain et que le ver avait gagné. Comment un cloporte pouvait avoir pris l’avantage sur lui ? Une impression d’irréalité s’empara de lui. Il était désormais persuadé qu’il allait se réveiller en sursaut et que lorsqu’il cela se produirait, son appendice se trouverait encore dans sa bouche, bien à sa place.
Soudain quelque chose lui toucha l’épaule. Pris au dépourvu, il donna un coup à l’aveuglette derrière son dos et se mit à courir. Dans sa course désorganisée, il trébucha sur une poubelle renversée et s’aplatit au sol comme une vulgaire crêpe.
- Et bien, le Borgne, te voilà dans un état pitoyable. Ca en serait presque risible.
- Eeeee en errreux ! Cracha-t-il en se retournant.
L’homme qui se dressait devant lui avait une chevelure blonde et une légère cicatrice au niveau de la tempe droite. De récentes blessures venaient abîmer le visage fin de celui-ci.
- Yyyeee Aaaaiieee ?
Le blondinet sourit et tendit une main à Sariel pour l’aider à se relever.
- Kyle Nathaniel, en effet. Il semblerait que notre petit plan est échoué en partie. Remiel et Uriel sont morts et la fille respire toujours…
Le plan ? Sariel n’avait jamais eu connaissance d’un quelconque plan. S’il avait choisit de suivre Remiel dans sa folie c’était justement parce que cela lui semblait le moyen le plus sûr de s’éclater à fond. Loin des préceptes et des règles strictes de Père et de ses sempiternelles remontrances à son encontre.
Bon sang, qu’y avait-il de mal à torturer des vierges avant de les manger ? Ce n’était rien de plus que des humains – ou dans le meilleur des cas, des sorciers.
Sariel avait toujours trouvé les mœurs de Père un peu trop douce. Lorsque Père punissait, ce n’était jamais pour son propre plaisir. Il fallait toujours que celui-ci ramène tout au devoir, à la discrétion et l’efficacité. Il fallait protéger les humains dans la mesure du possible tant que ceux-ci ne leur mettaient pas de bâtons dans les roues et gnagnagna…
Le Frère de Sang borgne lorgna un moment la main tendue de Kyle. D’un geste rageur il écarta celle-ci et se releva d’un bond. Sa bouche lui faisait encore mal mais le feu qui lui avait ravagé la gorge semblait s’être calmé.
- Euuu u euuu ?
Kyle cligna plusieurs fois de ses yeux bleus et sourit poliment. Un sourire que Sariel traduisit par : « Quoi ? Je ne comprends rien à ce que tu baves. »
- Euuu u euuu ? Réessaya-t-il d’articuler mais sans succès.
Se faire comprendre quand on n’a plus de langue était une chose ardue, longue et compliquée. Sariel n’était pas sûr d’avoir la patience pour faire face à ce genre de désagrément.
Le blondinet finit par hausser les épaules, comme si ça ne l’intéressait plus.
- Tu es trop bavard, suis-moi. Les Etoiles veulent te voir.
- Iii ?
- Ah. C’est vrai, vous autres les connaissez plutôt sous le nom des Traîtres ou d’Azraël de la Lune et Samaël du Soleil.
A ces noms Sariel ne put réprimer un frisson. Il posa un regard nouveau sur son compagnon. A l’évidence c’était un SangDragon élevé par ces deux là. Il fallait donc s’attendre au pire avec lui. De plus, contrarier ses attentes alors qu’il était si étroitement lié aux Traîtres alors que Père ne le portait pas non plus dans son cœur serait complètement suicidaire et irréfléchi, même lui en avait pleinement conscience. Qu’avait donc trafiqué véritablement Raguel ? S'allier à eux... Et dire qu'il avait été embringué dans la combine sans le savoir. Malheureusement il était trop tard pour reculer.
Suivant son guide improvisé, Sariel décida de se plier à ses ordres. Pour le moment. S'il allait la planque des deux Traîtres et les dénonçait, peut être qu’un retour en grâce auprès de Père n’était pas exclure…
Et puis, cela lui permettait d'être un minimum protégé. Il n'avait pas envie de mourir tant que la salope n'aurait pas payé au centuple le prix de sa langue.