Lesbos - Incomplet

Le fruit défendu

Révolte

Ce soir, je veux taire les louanges du temps.

Le drapeau rouge flotte sur la ville
Emplie d’églises commutables, de casernes poupées
De vides bannières pleines de songes et de chimères
Un grand portrait du Che
Ce soir, le roi est mort.

Une sombre clameur emplit l’espace
Sous un firmament d’étoiles muettes
D’étoiles froides et vides
Une clameur enfle soudain
Secoue les places dépeuplés, les rues déchirées
Monte jusqu’au fronton des palais
Étreint d’un geste d’amant
Caresse, soudoie et pervertit
Couvre les lamentations des veuves
Et l’espoir folle témérité.

Ce soir, je veux taire les louanges du temps.

Sur le goudron lisse des boulevards
Sous les lanternes rouges au vent déployées
Derrière les baraques grises des fusilier-marins
Les larmes écarlates des noyés de la veille
Les larmes écarlates des hidalgos des rues
Des fusillés sous la mitraille
Coulent en silence et leurs arômes détendus
Serpentent jusqu’au creux des chaumières
Jusqu’au sein de leurs mères.

Et des relents de soupe
Des relents de la soupe triste
Des cris sourds de derrière des statues brisées
Les plaies saignantes d’un garçon des rues
Les paroles vides de sens d’une négresse blanche
Dans un bungalow défraîchi ;
Une sombre colère qui gronde.

Le roi est mort par une nuit d’avril,
Sous les étoiles grises.
Ce soir, le drapeau rouge flotte sur la ville,
Et courant par delà les abîmes
D’espoirs fous, d’une liberté chimère
Je veux taire les louanges du temps.
Derrière la barricade le canon tonne,
Il faut y aller ; moi, je serai bientôt mort.

Prière

Elle avait les yeux d’une panthère d’or
Sa peau
Brume de nuit
Evanescence claire
Au bruit des violons acoustiques
Qui sanglotent sous juillet
Son dos
Arc tendu
La courbe de ses reins
Derrière un omoplate pâle
O mon dieu la courbe de son sein

Elle avait les yeux d’une panthère d’or
Un parfum clair qui résonnait d’Afrique
Baume de mes nuits
Et ses cheveux
Neige fleurie
Pluie noire pourtant qui s’étalait en une cascade claire
Rire de cristal dans l’obscurité douce
Et son cœur
Et son corps
Brume électrique
Ses yeux néons criants

J’ai trop voulu
Ivre d’un parfum de femme
J’ai cueilli une grappe
Au creux de tes reins
Fourmilière subtile de te cheveux en cascade
Qui venaient effleurer l’ambre de ta peau
Et ton odeur
Opiacée douce

J’ai caressé l’ombre de ton sein
Tendresse posée
En souvenance des instants déposés
Des silences bavards
Et nos mains entrelacées
Dans le claquement sec d’une âme qui se brise
Dans le craquement sourd des corps déployés
Nos nuits
Eternité brûlante

Elle avait les yeux d’une panthère d’or
Un casque ruisselant de ténèbres
Océan de nuit
Son dos
Un violon découpé
Ses hanches
Couple sensuel et anguleux
O dieu que j’étais fou
Ses hanches
Stupeur sourde sous ma main
L’arc brisé de ses lèvres rouges
Comme une flamme ardente
La chair molle et douce de la statue de marbre
Et son visage qui me dévisage en un miroir
Poussière rousse du grain de sa peau
Des paupières muettes
Qui me parlent
D’hommes, de femmes et de terres défendues
D’oriflammes et de draps détendus
Qui me parlent
De baisers langoureux
En soutenance.

Mon cœur
Une besace sombre
Pleine de souvenirs de femme
Mon cœur
Une besace ouverte
Qui cherche encor
O mon amour
O s’il te plaît.